mille neuf cent quatre-vingt treize. Cette année-là, tu avais cinq ans. Tu entrais enfin dans l'enfance, pour de bon, et tu en étais heureuse. C'était l'année où les cadeaux avait été le plus nombreux, à n'importe quelle fête. Faut dire qu'après, tu n'en avais pratiquement plus eu. Ce jour-là, tu avais école, mais personne ne t'avais réveillé, chose étrange. Tu ne comprenais pas pourquoi la maison était calme, pratiquement vide, lorsque tu avais ouvert les yeux. Le jour s'était déjà levé et le soleil brillait, signe qu'il n'était pas sept heures du matin. Tu ouvrais alors la porte de ta chambre avec du mal et te dirigeais vers la cuisine. Vide. Une question te traversait l'esprit : où était passé tes parents, et ta grand-mère, qui vivait avec vous ? Très vite, la panique t'envahit. Jamais on ne t'avait laissé seule à la maison, et tu étais perdu. Un bruit provenait de ton ventre, te rappelant que tu avais faim, et que tu ne savais pas comment faire. Ta voix s'élevait, raisonnant dans le vide de la maison. « MAMAAN ! » Aucune réponse, aucun bruit, aucune réaction. Tu te mets à pleurer, perdu dans cette maison, qui te paraît si grande alors qu'en réalité, elle est très simple. Tu te mets donc assise sur le canapé et attends. Moins d'une demi-heure plus tard, la porte s'ouvre, sur ta grand-mère. Petite blonde que tu es, tu te précipites dans ses bras, t'attendant à voir tes parents derrière elle. Mais ils ne sont pas là, et elle, elle pleure. « Qu'est-c'qui y a mami, et ils sont où, papa et maman? » Leur absence t'intriguent, donc tu questionnes. C'est bien connu, les marmots, ça questionne tout le temps. Mais elle ne te gronde pas, et elle n'a pas l'air exaspérée. Non, elle prends une voix douce et te sers contre elle avant de murmurer. « Ça va aller, mon ange. » Tu ne comprends pas. Bien sur que ça va aller, pourquoi ça n'irait pas. Mais les jours passent, et tes parents ne reviennent pas. Ta grand-mère reste silencieuse et pleure souvent. Et puis un jour, tu comprends, tu comprends qu'ils ne reviendront pas.

mille neuf cent quatre-vingt quatorze. L'année d'après, la même histoire se reproduit. Sauf que cette fois, ce n'est pas ta grand-mère qui passe la porte, mais ta tante. Elle n'a jamais été méchante avec toi, mais elle a ce truc qui fait que tu ne l'aimes pas. Et, pour cause, tu vas devoir maintenant vivre chez elle avec ses enfants pourris gâtés et un peu abrutis sur les bords, et subir les fameux cours de danse qu'elle impose à toutes les filles qui vivent dans sa maison. Du coup, tu t'étais retrouvée, un mercredi après-midi, à ce cours de danse moderne avec un tas de jeunes filles de ton âge. Elles se connaissaient déjà toutes, mais tu n'étais pas renfermée, bien que timide, donc tu t'intégrais plutôt vite. Et, plus le temps passait, plus les fameux cours du mercredi après-midi qui ne te tentaient pas devenaient essentielles à ta vie. Tu avais rencontré beaucoup de filles là-haut, d'amis proches, malgré ton jeune âge. Tu avais donc commencé à danser souvent, d'abord à tes cours puis ensuite à la maison et, de temps en temps, tu tentais même un ou deux pas dans la cour de récréation. Tu ne pensais pas que, plus tard, la danse deviendrait ta passion, ta raison de vivre, cette chose qui te permettrait de garder ton âme d'enfant. Personne n'a jamais pu comprendre comment tu pouvais t'attacher à cela à un tel point, mais tu n'as jamais tenté de leur expliquer. Ton cousin, fils de ta tante, est vraiment insupportable. Plus tu grandis, et plus votre relation se complique. Tout ce que tu rêves de faire, c'est de lui en claquer une bonne, lui remettre les idées en place, mais mince quoi ! A la place de ça, tu dois t'habituer aux années qui passent et à ta tante. Celle-ci, fière que tu sois une danseuse hors paire, fait tout pour que tu augmentes encore tes capacités. Des heures et des heures d'entraînements, encore en dehors de tes cours de danse, ou tu tues à sculpter un corps parfait, rien que pour ses beaux yeux. Toi, tu ne t'en soucies pas réellement de ton corps, tu n'as jamais eu de problèmes avec ça. Puis, ça continue et ça s'empire. Bientôt, elle t'impose un régime stricte. Alors que tu n'as que quinze ans, tu as l'impression d'en avoir quarante et de prendre des kilos à chaque bouchées que t'avales, tellement elle te surveille.

deux mille six. Tu as maintenant dix-sept ans. L'âge de rêve, le permis, les soirées, l'alcool à éviter bien sur, c'est malheureusement à vingt-et-un ans. Mais toi, tu as juste le droit de passer le permis et d'avoir ta voiture. Les sorties, ça te connais pas, parce que ta saleté de tante te séquestre à la maison, pour garder un oeil sur toi. Elle t'envoie souvent à ton école de danse, et t'as l'impression que c'est de sa carrière qu'elle se préoccupe, pas de la tienne. La situation devient de plus en plus pesante. Adolescente que tu es, tu as un réel besoin de respirer, de sortir avec tes amis. Mais à la place, tu danses. Tu as beau aimer danser, ça perds toute sa magique quand la sorcière te surveille. Un soir, que tu rentres chez toi, ou plutôt chez elle, tu balances ton sac dans un coin et elle commence de suite à t'accaparer de questions sur ta journée, et de prévoir ton emploi du temps pour la soirée. Tu secoues la tête en lui adressant un sourire. « Le seul truc que j'vais faire ce soir, c'est sortir. » Tu as réussis. Le montre sort les griffes. « Ah oui, tu sors ? M'voyons, ça m'étonnerais bien ma p'tite. Tu vas enfiler un jogging et filer à la salle de sport, surtout. » Sa remarque te fait rire, elle a vraiment de l'espoir. Tu passes à côté d'elle, la bousculant grâce à un coup d'épaule, et prends la direction de ta chambre. Tu prends une douche, rapide mais efficace, avant d'enfiler une robe noire, qui te tombe un peu au-dessus des genoux. Prête comme tu es, tu attrapes ton sac à main et sors, sans même attendre l'avis de ta tante. Arrivée dans la boîte de la ville, tu commandes un coktail sans alcool, malheureusement. Tu te mets dans ton coin et le vide avant de t'engager sur la piste de danse. La lumière te donne le tournis, mais ça te fait rire. Une douce odeur de cigarette remonte jusqu'à tes narines. Tout ce qu'elle t'avait interdit dès tes seize ans se trouvait autour de toi. Cela te fit éclater de rire et, à partir de ce jour, tu te décidas à sortir bien plus souvent. Tu ne te prives pas d'alcool, à ce jour, mais tu ne touches pas à la cigarette ou la drogue.

de nos jours. Tu as aujourd'hui vingt-quatre ans, tu vis seule, bien que ta tante te court toujours derrière, et tu es dans la même école de danse. Toujours passionnée, et bien plus libre, tu profites de ta vie. Mais ce que les gens voient de toi, ce n'est qu'un masque, qu'une personne que t'as inventé pour provoquer, et te préserver des douleurs de la vie. Il y a des personnes avec qui ce masque te convient très bien. Ton cousin, Jaecy, par exemple. Oser lui hurler dessus et lui fermer son clapet te fait le plus grand bien. Tu ne le supportes plus mais lui, ça l'amuse. Il se contente de te provoquer. Votre relation n'a jamais évoluée, vous n'avez jamais essayé de parler pour tout arranger, mais tu t'en contre fiche. Mais, il y a des personnes avec qui tu laisses tomber le masque, tu sais être toi. Il y a ce jeune homme, Ezraël, ton meilleur ami. Il est gay, eh oui tu te protèges toi-même des désillusions de l'amour. Votre relation est très étrange, plus que le frère que tu n'as jamais eu, il est également la source d'amour dont tu as toujours rêvé. Jeune enfant que tu étais lorsque tu l'as connu, à sept ans, vous avez toujours été proche. Il a suivit toute ton histoire et t'as soutenu lorsque ta tante, sorcière qu'elle est, te détruisait petit à petit. C'est la personne que tu adores le plus, celle que tu chéris autant que tu le peux. Il n'a jamais été contre ta volonté, à toujours accepté tes choix. Il n'y a jamais eu de véritables disputes ou d’ambiguïté entre vous. Mais, une question se pose, qu'aucun de vous deux n'arrive à résoudre. Ez' est gay, c'est une chose, mais il n'a jamais fait son coming-out auprès de sa famille. En tant que bonne meilleure amie, tu te dois de l'aider, et ça pourrait très vite dévier en dispute.