Je pourrais bien m'apitoyer sur mon sort puisque je n'ai que de vagues souvenirs de mes parents, décédés tous les deux lorsque j'avais tout juste sept ans, mais je n'en suis étrangement pas capable, car je n'ai jamais manqué de rien par la suite. J'ai passé ma jeunesse en compagnie de mes grand-parents, pas bien âgés eux-mêmes alors je n'étais pas coincé avec des vieillards de l'époque des dinosaures - la vérité est que ma mère est tombée enceinte de moi à dix-neuf ans, mes grand-parents étaient pour leur part dans le début de leur quarantaine à cette époque. Je suis le fils d'une secrétaire de notaire et d'un notaire, le genre de cliché que l'on voit fréquemment dans les films mais qui tristement arrive plutôt souvent dans la réalité. Mon père était plus âgé que ma mère de quinze ans et mes grand-parents n'ont jamais apprécié de parler de celui-ci, qu'ils ne respectaient pas particulièrement. Je parle d'eux au passé, puisqu'ils sont aujourd'hui décédés; mon grand-père est mort d'un anévrisme cérébral en 2002 et ma grand-mère d'un cancer du sein il y a quatre ans. J'ai été élevé à St. Louis dans une maison bien normale et malgré le fait que j'étais souvent en détention après l'école parce que j'étais un gamin qu'on appellerait hyperactif de nos jours - je ne pouvais pas m'empêcher de faire des bêtises et de courir partout à l'époque, et puis me taire en classe était impossible selon mes professeurs - j'étais tout de même un bon garçon et je me débrouillais pour avoir d'excellents résultats à l'école. Je me suis un peu calmé avec le temps, heureusement pour les gens autour de moi, même si pour certaines personnes que je rencontre parfois dans la rue il était totalement impensable que je devienne un psychologue avec un cabinet à moi. On m'imaginait plus souvent dans un métier plus normal ou plutôt "dans la masse" je suppose. Ce doit être une grande déception pour eux, les pauvres.

Je n'ai jamais été le plus grand fêtard, même si je suis une personne qui aime être en mouvement et qui aime être en contact avec les autres. Je ne tiens pas bien l'alcool et contrairement aux autres jeunes universitaires, le « beerpong » n'a jamais été un sport qui me passionne. Je n'ai jamais été un maniaque sexuel non plus et je peux très bien compter le nombre de filles avec qui j'ai passé la nuit et les seuls moments où je ne me suis pas rappelé du prénom de celles-ci, c'était que j'étais VRAIMENT dans la lune. Je parle d'ailleurs au passé à propos des femmes puisque depuis quelques mois, je les évite assez. J'ai eu quelques relations de couples sans histoires tout au long de ma vie adolescente et adulte, comme la normale des gens en fait. Seulement, à vingt-huit ans, j'ai fait une erreur particulièrement stupide ; j'ai cru être amoureux.

Ça aurait pu me coûter mon droit de pratiquer, puisque c'était tout de même une de mes anciennes patientes. Elle m'a donné son numéro à notre dernier rendez-vous, avant qu'elle décide d'arrêter nos sessions. Je l'ai appelé et l'on s'est revu, puis c'est ainsi que notre "histoire" a commencé. J'ai été naïf, puisqu'elle ne m'aimait pas. On dit souvent que les hommes ne pensent qu'au sexe, mais dans mon histoire, c'est moi qui me suis fait avoir. Du sexe et de l'argent, c'est tout ce qui lui importait. J'aurais dû m'en douter un peu avec tout ce que j'avais entendu durant nos consultations, mais j'ai préféré me laisser aller à des émotions qui n'étaient pas partagées. J'ai découvert le pot aux roses un dimanche matin à sept heures et douze minutes lorsqu'elle est entrée dans la chambre en hystérie avec un test de grossesse à la main, me tirant d'un sommeil paisible. Les premiers mots que j'ai entendu ce matin-là furent « avortement » , « horreur » , « dégoûtant » et elle termina avec la phrase très marquante « Je ne veux pas détruire ma vie. » . Ce fut comme si on m'avait frappé avec une brique. Après avoir clarifié un peu la discussion j'ai découvert que celle que je croyais être la femme de ma vie n'était intéressée que par mon porte-feuille et le sexe. J'étais déjà détruit par tout ce que j'avais appris et je tentais de me préparer à l'éventualité de l'avortement, mais les médecins ont refusé de la prendre à l'hôpital, prétextant qu'il était trop tard pour passer à l'acte. J'ai été rassuré et j'ai même remercié Dieu e n'étant pas croyant, mais mon bonheur m'a coûté une fortune, puisque j'ai dû bien évidemment payer puisqu'elle n'avait aucuns revenus durant cette grossesse non prévue. Nous nous sommes séparés et j'ai acheté mon duplex, payant ses mois de loyer pour son nouvel appartement pendant la grossesse, payant aussi pour tout le reste bien sûr. Après l'accouchement, par contre, elle n'a jamais voulu voir son fils, et le contact a été complètement coupé.
Je vis donc depuis septembre dans un duplex trop grand pour moi avec mon fils Nathaniel, maintenant âgé de cinq mois, en congé de paternité et pourtant je n'ai pas le temps de tourner en rond et je suis parfaitement heureux de ma situation de père célibataire.