« Est-ce qu’embrasser, c’est tromper ? » lâcha-t-elle, fébrile, se rongeant négligemment les ongles. Ses sourcils arqués par une ride d’inquiétude et de culpabilité. « Tout dépend, t’as embrassé qui ? ». Elle baissa les yeux, et évita mon regard, ce qui m’arracha un léger sourire, alors que je tirais négligemment sur ma clope. Son blanc s’étira, un peu trop, ce qui épuisa ma patience. « Vas-y, balance ! » elle soupira, puis cracha la réponse, comme si ça lui brûlait la langue « Mathieu ». J’étouffai un rire franc, avant de le laisser exploser malgré moi, ce qui me valut un franc coup de poing dans l’épaule. Je grimaçai de douleur, sans que cela n’entrave mon rire nerveux. « Quoi ? », elle le répéta bien trois fois, en haussant le ton à chaque fois ; « C’est juste que Mathieu… Vu sa tête, ouais, tu t’es carrément trompée. »
C’était tout moi. Cette légèreté, cette franchise. C’est ainsi qu’on me définissait. Un gamin aux yeux des autres, bien que je tentais de me détacher de cette fichue étiquette qu’on me collait dans la nuque. Ma « copine » m’avouait qu’elle en avait embrassé un autre, et j’essuyais péniblement des larmes d’hilarité, devant son incrédulité la plus complète. J’avais connu pire dans ma vie. Mon enfance a été un marais de railleries. On nous pointait du doigt, Carrie et moi, d’avoir deux pères. Un couple homosexuel. Je n’en avais cure, et ce depuis mes balbutiements. Ce passé un peu troublé m’a permis de relativiser tout ce qui m’arrive. La vie est une cigarette, fumons là, car avec ou sans nous, elle se consumera. Je ne m’embarrasse jamais de futilité. Pudeur, non-dit, mensonge ? Ah non. Je souris, et réplique. Parce que quitte à prendre une claque, autant le faire avec le sourire. C’est toujours plus agréable.

« Ca ne te fais donc rien ? J’avais l’impression que nous étions engagés ». Mon sourire se ravisa. Un petit pic, ravivant un souvenir lancinant. La seule chose dans laquelle je m’étais engagé, c’était le basket. Une passion dévorante, qui a fait rayonner mes années lycées. J’étais du genre populaire, ouais, mais certainement pas pour mes notes. Non, d’abord, parce que j’étais le jumeau d’une des filles les plus mignonnes du bahut. Mais aussi parce que j’étais le petit génie de l’équipe de basket, les sportifs plaisent. Oui, oui, clairement, j’en ai profité. C’était mes années de tous les excès, les soirées explosives, toutes les premières fois. Je me damnerai pour y goûter à nouveau. Tout s’est effondré quelques mois après. J’étais une buse en cours, un esprit rebelle ? Non, plutôt indépendant, libre, qui n’apprécie pas vraiment les contraintes. L’obligation de présence, de devoir ? J’y accorderai une considération en somme toute dérisoire. Cela m’a valut quelques francs tacles des mes deux padres, comme j’aime à les appeler. J’ai décroché une entrée à la fac, contre toute attente. Pourquoi ? L’espérance de me voir percer dans la haute strate du basket. J’étais persuadé d’avoir les genoux assez rudes pour ça, ce furent pourtant eux qui me lâchèrent les premiers. Une détérioration des cartilages du ménisque, et toute une enfance qui vole en éclat. De toute ma vie, ce fut la seule claque que j’ai reçu, et à laquelle je n’eu d’autre réaction que de longs sanglots.

« J’ai déjà du mal à m’engager avec un opérateur téléphonique, tu sais… Alors avec une fille. » J’essayai de lui ôter sa culpabilité. Pourtant c’est de la rancune que me jetaient ses prunelles. Quoi ? Ouais, je n’étais pas mon ainé. Adam, que j’enviai malgré tout. Il avait toujours été un modèle de réussite pour moi, un exemple un suivre. Oui, clairement, si dans quelques années, je pouvais être dans sa situation, je signerais des deux mains sans hésiter. J’avais parfois de honte de mon parcours. Après ma blessure, j’avais tout plaqué, le basket, la fac. Sans Carrie et Adam, je serais toujours au fond du trou. Mais ils réussissaient, quand moi, j’étais dans la débrouille. Des petits boulots à droite à gauche, un bol de chocapic, une fille ou deux, un bol de chocapic, un pétard, un cuite et toujours un bol de chocapic.
Et cette volonté d’émancipation s’élargissait. Je voulais, à mon tour, devenir serein, à l’instar de mon ainé. Me trouver une fille, l’aimer, jusqu’à en mourir, trouver un métier, un vrai. Puis à terme, mon appartement, mon chien. Ma vie.

Enfin bref. J’étais ravi de vous parler de moi ces quelques minutes. J’espère que vous ne dormez pas, hein ? Mais là, je dois vraiment filer, mon avion pour les Bahamas décolle dans une poignée de minute. Quoi ? Comment ça les Bahamas ? Oh, un stupide jeu au dos de ma boite de chocapic. J’ai cru à une farce de Carrie quand on m’a annoncé que j’avais remporté une semaine tous frais payés. Mais qui sait ? Peut-être que c’est une poussette de destin, hein ? J’y trouverai peut-être l’amour, avec un giga A. Allez, ciao. On s’capte !