Se lever à six heures trente. Se brosser les dents. Se doucher. Choisir une tenue. Se coiffer. Descendre déjeuner à sept heures trente en famille. Subir la prière et le regard inquisiteur du patriarche. Rectifier ce qui ne lui convient pas. Prendre son sac. Aller en cours. Subir les cours. Les profs. Les regards des autres. Leur hypocrisie. Leur gloussement. Danser puis jouer du violon. Enchainer avec la batterie. Réviser ses cours. Aider l'entreprise familiale. Râler contre tout et n'importe quoi. Se tirer en douce pour échapper à la pression. Boire. S'amuser. Faire l'amour avec des inconnus. Puis rentrer. Se faire enguirlander par son frère. Puis par son père. Rouler des yeux. Monter se coucher. Et recommencer. C'était ça, sa vie. Rien de plus, rien de moins. Des journées rythmées de la même façon. Et lui, il subissait sans broncher. À quoi bon essayer de mettre un semblant de piment dans sa vie ? Il était voué à rester ici, à Saint-Louis. Comme son père. Comme ses frères.

Algernon, c'est le petit dernier. Pas le petit chouchou - parce que son père met un point d'honneur à tous les traiter équitablement - mais peut-être un peu trop gâté. Même si à ses yeux, son père reste trop stricte. Il est un peu différent de ses frères. Peut-être parce qu'il n'a pas connu sa mère, morte en le mettant au monde ? Moins discipliné. Moins "Ralston". Il aime sortir, s'amuser, boire un peu trop, rentrer ivre. S'occuper de cadavres, porter des cercueils, faire la poussière, ce ne sont pas des activités qu'il affectionne. Il fascine les gens sans réellement le vouloir. Avec ses cheveux décolorés, son air blasé de mannequin, ses vêtements étranges, son savoir-vivre, sa politesse, sa tête d'ange... Tout le monde sait qui il est. Mais personne ne le connait. Algernon n'a pas d'amis. Comme ses frères. Pas de meilleur ami. Pas de confident. Personne n'a accès à ses petits secrets hormis son frère Bartam. Et pourtant, il aimerait sincèrement avoir son petit groupe de potes. Sortir avec eux. Rire de leur plaisanterie. Et malgré tous ses efforts pour s'intégrer, il n'y arrive pas. Beaucoup trop différent de ses camarades. Et puis... il finit toujours par coucher avec ses "amis". C'est ainsi. Sans cesse à la recherche du plaisir, il ne peut pas résister à sa libido. Il couche à droite et à gauche, au gré de ses envies sans réellement se soucier de l'image qu'il pourrait renvoyer. De toute façon, il se fiche de savoir que dans son dos on le traite de trainé. Tant que ça n'arrive pas aux oreilles de son père, ou de ses frères, tout va bien.

Sa famille. Même s'il ne le montre pas, Algernon l'aime. Son père, c'est son père. Lorsqu'il était petit, il représentait tout pour lui. C'était son Dieu. Son exemple. Le super-héros, plus intelligent que Batman, plus fort que Superman et plus beau que Spiderman. Il chassait les monstres sous le lit, ses frères qui se moquaient de lui et les fantômes dans le placard en haut à gauche de la cuisine. Encore aujourd'hui, Algernon voue un culte à son paternel. Comme lorsqu'il avait huit ans, il aime l'écouter fredonner des vieilles chansons punk. Il lui obéit sagement. On peut dire tout ce qu'on veut sur son père, qu'il est froid, distant, cynique et autres critiques mais il n'en reste pas moins un père aimant, dévoué et sincère. Quant à ses frères, malgré l'animosité de Whitfield, l'omniprésence de Bartam et les fouilles régulières de Kipling (enfin, ce ne sont que des soupçons), Algernon les aime. Il n'y a qu'avec Sedgewick que le plus jeune entretient une relation paisible. Enfin, temps qu'il le laisse tranquille. Peut-être parce qu'ils sont extrêmement différents ?

Algernon, il est accro au sexe. Son père peut s'estimer heureux. Il aurait pu être accro à l'héroïne ou une autre substance néfaste. Heureusement, il n'aime pas spécialement les drogues. Elles faussent les sens ce qui rend les sentiments moins authentiques, plus artificiels. Algernon, il aime sentir la chaleur d'une étreinte, homme ou femme ça lui est égal. Il aime caresser des corps chauds. Des lèvres humides. Des cheveux doux. Il ne baise pas avec quelqu'un. il fait l'amour. C'est plus subtile. C'est plus beau. C'est moins dégradant. Il aime se réveiller aux côtés de quelqu'un - même si c'est rare, se sentant obligé de rentrer à la maison. Il apprécie le sentiment de s'envoler lors de la jouissance. Il aime qu'on l'embrasse, qu'on lui dise qu'il est beau, qu'il est excitant, séduisant. Peut-être qu'il a manqué de tendresse ? Mais il se fiche des interprétations de son comportement. Il vit sa petite vie sans se soucier des rumeurs courant sur lui ou sa famille. Blasé, c'est ce qu'il est.

Souvent, on se retourne dans la rue. Il ne sait jamais pourquoi. Par fascination ? Par dégout ? Par surprise ? De toute façon, il s'en fiche. C'est Algernon. Rien ne l'atteint à part les paroles de son père. Alors, il avance sans se soucier du regard des autres. Concentré sur ce qu'il va faire ou ce qu'il pourrait faire. Trainer au cinéma ? Dans un bar ? Aller voir "un ami" ? Ou rentrer ? Il ne prévoit jamais ce qu'il va faire. C'est plus amusant. Peut-être qu'il va rencontrer un inconnu ? Croiser un chat ? Tomber sur l'un de ses frères ? Le hasard. Il aime bien. Ça rend sa vie plus palpitante. Combien de fois a-t-il suivi un inconnu ? Pour finalement le planter quand il en a eu marre de lui ? Algernon a de la ressource. Il apprécie torturer ses "amis". Rien de plus facile. Il suffit qu'il laisse -malencontreusement- échapper son âge. Mineur. Il se délecte des visages se décomposant. Puis, il sourit et se met à rire. Parce que ça l'amuse.