« J'étais un accident. Oui, je pense que c'est le mot exact : accident. Je n'avais pas vraiment été voulu et attendu mais il avait quand même fallu m'assumer. Et Alex m'assuma. Elle n'avait jamais eu l'instinct maternelle mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Je m'étais imposé dans sa vie et si on lui avait laissé le choix, je n'en n'aurais jamais fait partie. Mais l'existence n'est pas faite que de choix et si le seul homme qu'elle avait aimé, c'était mon père, elle n'y pouvait rien. Cependant, je n'y pouvais rien non plus. »

Alexandra n'était âgée que de vingt ans lorsqu'elle est tombée enceinte et à cet âge, la dernière chose à laquelle on pense, c'est sans doute de fonder une famille. Surtout quand le père ne fait plus partie du tableau. Et ce, pour des raisons que Julian ne connaîtra jamais. Le départ prématuré de sa mère favorisa sans doute cette ignorance dans laquelle il avait été plongé. Il fut donc élevé par sa grand-mère dès ses trois ans. Le petit garçon fut tout de suite baigné dans l'univers de la musique et du rêve. Mais être un guitariste précoce n'a pas que des avantages : jalousie, rêverie abusive,... Julian était à part mais - malheureusement ou heureusement, à vous de voir - ça n'allait pas durer.

« À vrai dire, je ne sais même pas comment ça a commencé. Je crois que c'est un pote qui m'a proposé un joint, pour la première fois. On était dans un bar et pour une fois que je me faisais inviter, je n'allais pas passer pour un ringard... J'en suis pas mort, c'était pas si grave ! »

En fait, si, c'était grave. Même si les gens qui entouraient Julian au Lycée portaient le titre « d'amis », ils n'étaient ni plus ni moins que des étrangers qui avaient besoin d'une bonne poire. Julian payait les doses et il recevait sa part, comme tout le monde. Et il n'a jamais protesté, même lorsqu'on lui hurlait dessus parce qu'il avait moins d'argent que la dernière fois. Cependant, le cannabis n'était qu'un début et lorsque son argent de poche ne suffit plus, Julian se mit à voler dans le portefeuille de sa grand-mère. Bien entendu, deux-cent euros qui disparaissent dans la nature, ça ne passe pas inaperçu. La vieille dame était peut être trop gentille mais pas dupe. Dommage.

« Elle m'a envoyé dans un pensionnat jusqu'à mes dix-sept ans. Bien sûr, elle m'a sorti son sermon sur la drogue, en me disant que c'était mal et blablabla. Sur le moment, je lui ai ri au nez. Mais le jour de son enterrement, deux mois à peine après mon retour, je m'en suis voulu... Elle avait été ma seule mère et elle était partie sans que je lui ai jamais dit " je t'aime ". Alors ouais, je m'en suis vachement voulu.. . »

À peine eut-il le temps de pleurer sur son sort que Julian recevait un énorme héritage de sa grand-mère. Des années d'économies qui ne le consoleraient pourtant pas. Cependant, il décida d'en faire bon usage. Il faut croire que trois années passées dans un pensionnat, ça calmait les envies de faire des conneries. Julian s'inscrivit donc au lycée de Saint-Louis pour reprendre ces études. Mais il fallait que quelqu'un vienne encore tout chambouler...

« C'est drôle à quel point l'amour est un sentiment frappant. Il arrive de nulle part, il vous empoigne le cœur et le corps puis vous devenez fou. Et le pire, c'est qu'on finit par adorer ça. »

Elle s'appelait Sarah. Elle ne devait passé qu'une année à Saint-Louis pour voir de la famille. Si les choses avaient été différentes, cette jeune femme aurait peut être pris l'avion l'année suivante et elle n'aurait peut être jamais rencontré Julian. Cependant, elle prit l'avion ce vendredi-là, rejoignit le lycée de Saint-Louis le lundi même et se retrouva dans la même classe que Julian. Hasard qui faisait bien les choses vu que deux ans plus tard, ils étaient fiancés. Mais ça, Julian n'en savait encore rien. Il s'était contenté de lui parler deux fois et l'étincelle s'était produite. Un feu brûlant avait fini par incendier son corps au point que lorsqu'il lui demanda de partir à Saint-Louis avec lui, la réponse fut une évidence.

« Au début, on ne réalise pas vraiment. Puis, un soir, on s'installe dans le fauteuil auprès du feu, comme d'habitude et on l'attend. J'ai du le faire des centaines de fois avant de prendre conscience que c'était terminé. Qu'elle ne reviendrait plus jamais. »

Julian était seul. Horriblement seul. Il passait la plupart de ses soirées dans des bars. Le bruit et les éclats de voix le rassuraient un peu avant qu'il ne soit obligé de rentrer pour se murer dans son silence. Il se contentait de sortir pour aller en cours ou pour traîner dans un bistro. Lorsqu'il rejoignait l'appartement qu'il avait partagé avec Sarah pendant près de deux années, il s'adonnait à un jeu morbide. Il cherchait le fantôme de celle qu'il avait aimé - et qu'il aimait encore - en se couchant à sa place, dans le lit, pour espérer y retrouver les formes de son corps imprimées dans le matelas. Ou encore, il ressortait tous ses vêtements - qu'il n'avait jamais osé jeté - et il respirait l'odeur qui les imprégnait encore mais qui n'allait pas tarder à disparaître. Et quand ce fut le cas, il rangea toutes les affaires de Sarah dans des boîtes en carton qu'il entreposa dans son salon. Petit à petit, il se faisait à l'idée qu'elle était morte même si on ne s'habitue jamais vraiment. Un cancer l'avait emportée et bien qu'il fut présent jusqu'à son dernier soupir, les regrets de Julian ne s'effaceraient jamais.