❝ c'est la journée la plus poissarde de l'année! ❞

On ne pouvait pas dire que je commençais la journée de très bonne humeur. J'étais fatigué, un peu sur les nerfs et j'avais cassé mon bol de café qui m'avait glissé des mains avant de se fracasser sur le sol. Justin avait rigolé avant que je lui lance un regard noir, et je pris une éponge et un torchon pour tout nettoyer avant qu'Eloyce n'entre dans la cuisine. Tout était propre mais j'avais fait brûlé les toasts. Quelque chose me disait que cette journée allait s'annoncer très difficile. Enfin de compte je choppa un muffin dans le panier et je partis pour le travail car je me rendis compte que j'étais déjà en retard. Je pris la voiture et je me pris tous les embouteillages. Les habitants s'étaient-ils donné le mot pour partir tous en même temps ? J'allumais la radio en écoutant le bulletin météo : En journée, de la pluie voir des flocons de neige, une dépression arrive... J'éteignis l'autoradio, les nuages gris étaient déjà assez déprimant pour en écouter d'avantage. Dire qu'aujourd'hui je devais aller sur un chantier à l'autre bout de la ville et que j'avais oublié mes plans dans mon bureau, ce qui faisait que je devais faire un détour au cabinet. J'arrivai enfin à neuf heures à mon cabinet je dis brièvement bonjour à mes collègues avant de prendre les plans de la maison dans mon bureau et de refermer à clé. Il y avait au moins une journée par semaine où je passais mon temps sur un chantier. C'était ça que j'aimais dans ce métier : la partie dessin, la partie conception mais surtout être sur le chantier pour voir l'avancée les travaux. J'accélérais le pas pour retourner à ma voiture et me rendre à l'autre bout de la ville. Les mauvaises nouvelles s'estompèrent petit à petit et même un petit rayon de soleil perçait les nuages, peut-être que finalement cela serait une journée correcte.

J'avais tort. J'étais à l'hôpital et j'étais à moitié shooté aux anti-inflammatoires. Je regardais le plafond comme si j'étais absorbé par ce blanc. Ce qui c'était passé ? Rien de plus simple, accident sur le chantier. J'étais tranquillement en train de parler aux ouvriers comment il fallait avancer et quand tout devait être fini et un, sans que je sache comment, à laisser tomber sa plaque en bois d'une hauteur assez considérable, et cela m'est tombé sur le bras. Rien que ça. C'était la première fois de ma vie que j'avais autant hurlé. Le pire, c'est que je n'avais pas voulu venir ici, deux ouvriers m'avaient forcé en voyant l'état de mon bras et de mon poignet. Aimable. Du coup j'étais depuis deux heures dans cette chambre qui me sortait déjà par les yeux. « Vous avez quelqu'un à prévenir ? » « Je vais rentrer seul. » « Je ne pense pas, entre l'anesthésie locale, et les anti-inflammatoires et votre immobilisation il vous faut quelqu'un. » Bon. La journée était vraiment merdique. Il était hors de question que je dise de contacter Eloyce, elle prendrait peur en croyant sans doute que je sois dans le coma ou autre et en plus elle était enceinte. Daniel ? Non je n'allais pas le déranger pour ça, je suis sûr qu'il trouverait une blague à me faire en plus. Je donnais alors les coordonnées de mon frère cadet. Il pourrait bien venir après tout. J'attendais alors une demi-heure en regardant par la fenêtre. J'avais encore ce regard vide, je me demandais la puissance des anti-douleurs. Au bout de quelques temps la porte de la chambre s'ouvrit, et je vis mon frère entrer. « Pitié sort moi de cet enfer. » Fis-je en le regardant sérieusement. Je n'aimais pas les hôpitaux comme tout ce qui était médical. J'avais le poignet et le bras gauche de cassés mais je comptais bien rentrer chez moi quitte à ramper sur le sol.

Le pied sur l’accélérateur, la clope qui se consumait sans même que je ne songe à tirer dessus. Un effet collatéral de l’ascenseur émotionnel qui m’avait ébranlé alors que je riais aux éclats après la chute maladroite d’un de mes joueurs. Mon cœur s’était soulevé lorsque ce fut l’hôpital qui se présenta à l’autre bout du fil, et que l’infirmière prononça distinctement le prénom d’Adam. Ma gorge s’était nouée instinctivement, et s’était à peine desserrée malgré les propos rassurants de la femme. Même sa voix sensuelle ne m’avait pas arrachée une réaction. Sa vie n’était pas en danger, je me faisais écho de cette phrase. Allez, du calme. J’avais planté mes gamins, en plein entrainement. L’adjoint avait prit le relais, compréhensif. Il n’avait pas le choix de toute façon. Je balançais ce qu’il me restait de cigarette par la fenêtre alors que j’approchai du parking de l’hôpital, il fallait vraiment que j’arrête.
Je me retournai sur mon emplacement de parking, j’étais garé comme un tocard. Une vieille s’en plaignait. Et je n’en avais strictement rien à foutre, mmh.

J’étais juste devant la porte de sa chambre, que j’avais ouverte. Accoudé à l’entrebâillement, je masquai ma ride qu’inquiète par une mine cynique. « T’as une sale tête, mon vieux ». J’affichai une fausse insouciance, c’était souvent le cas. L’hôpital me rappelait bien trop mes heures de rééducation, rien que d’y penser, j’avais l’impression que ma rotule me lançait. Sa phrase m’arracha un sourire sincère, en revanche, alors que mon regard s’attardait sur ses plâtres. J’haussais les sourcils, prenant malgré tout conscience qu’on avait évité le pire. La vie continuait. Je ne pus m’empêcher de lui faire un large sourire. Après tout, il était en vie, moi aussi, ainsi que les personnes que nous aimions. Tout allait bien, et je recouvrai cette torpeur joviale qui m’était coutumière et qui m’avait quitté ces dernières minutes. Je me décollai de la porte pour me jeter sans ménagement sur le fauteuil à ses flancs, puis, sans gêne, j’étalai mes pieds sur le bout de son lit. « Ouais, ouais. J’suis ton homme. Mais explique moi d’abord ce qu’il t’est arrivé bordel. Tu t’es battu contre un parpaing ? Il a visiblement gagné. »
Même s’il n’avait pas franchement l’air d’une bonne humeur, moi je l’étais. Soulagé ne serait-ce que de voir son regard vide et fatigué. Et ravi qu’il m’ait appelé moi.

« Pas un mot à Eloyce je suppose, mmh ? », je le regardai plus gravement cette fois-ci. Surement que ce n’était pas mes affaires, et qu’il ne se garderait pas pour me le rappeler. Mais j’étais d’avis à lui révéler. De toutes manières, elle n’était pas crédule. Sacré Adam, sa vie me faisait souvent rêver, et c’était quelqu’un de bien, sincèrement. Même si je redoutais parfois qu’il foute en l’air ce qui était réellement important pour lui.

❝ c'est la journée la plus poissarde de l'année! ❞

Je me demandais quelles drogues les médecins m'avaient données pour que je me retrouve dans un tel état de déconnexion terrestre. J'avais mes yeux fixés sur le mur d'en face depuis plusieurs minutes et je me disais que cette couleur était franchement pas terrible. Glaciale même. J'étais de pleine réflexion sur quelle couleur ils pourraient mettre à l'avenir pour faire de l'ambiance de cette chambre quelque chose de plus chaleureux quand mon frère cadet arriva enfin. Miracle l'enfer dans lequel j'étais allait bientôt prendre fin ! Il me déclara que j'avais une sale tête. Sans déconner. J'avais une expression de drogué et je me sentais comme sur un nuage blanc dans le ciel. « D'un côté je me demande vraiment ce qu'ils m'ont donné pour que je sois dans cet état. » Sérieusement, autant de médicaments n'étaient pas nécessaire, je n'étais pas du genre douloureux même si j'avais hurlé comme un malade dans la maison en construction. Je me demandais si les aliens m'avaient entendu. Ma voix avait portée à un point que les ouvriers avaient pris peur. J'avais beau les rassurer, c'étaient eux qui m'avaient emmené de force à l'hôpital et voilà que je dérangeais mon petit frère pour qu'il vienne me chercher. J'avais du l'inquiété, mais au moins ce n'était pas mon père. Je n'aurai même pas imaginé sortir vivant si c'était mon père qui était venu car il ne m'aurait pas lâché d'une semelle en me demandant si j'étais sûr d'aller bien et en me proposant même de venir dormir à la maison. Oui mon père était un sacré papa poule. Du coup j'avais bien fait d'appeler Liam à la rescousse, je savais qu'il serait venu sans crier gare. Je le regardais entrer d'un air déconnecté avant qu'il aille s'asseoir dans un siège à côté du lit en étalant ses pieds sur le lit. Il avait l'air décontracté et il souriait même alors que moi je n'avais qu'une hâte : partir le plus rapidement possible de l'hôpital pour retrouver mon petit chez moi douillet.

Il me déclara qu'il était mon homme ce qui me fit sourire légèrement. Il n'avait pas perdu sa bonne humeur, il fit même une petite blague sur mon état et du comment, pourquoi c'était arrivé. « Très drôle Liam... » Fis-je en le regardant un peu de côté avec un sourire sur les lèvres. J'avais beau avoir mal, ce n'était pas pour autant que j'allais m'en prendre aux autres, ce n'était pas de leur faute. Je suis sûr qu'il allait rire, d'un côté c'était vrai qu'en se rappelant la scène c'était assez comique. « Quand même pas un parpaing... » Sinon j'aurai eu les os en miettes, d'un côté c'était pas passer bien loin. « Je me suis pris une plaque de bois sur le bras et la main qui est tombé du premier étage par un ouvrier qui l'a fait tombé par mégard... » Déclarais-je en le regardant droit dans les yeux, regardant si une mimique marrante allait se dessiner sur son visage. J'avais la tête contre l'oreiller et je regardais par moment à travers la fenêtre tandis que Liam s'était très bien installé dans le fauteuil. Je ne voulais pas que l'on reste camper ici, j'avais hâte de partir. Par un regard, Liam avait compris qu'il ne devrait pas dire un mot à Eloyce dans l'heure. Si je ne l'avais pas appelé c'était qu'il y avait une raison : je ne voulais en aucun cas qu'elle s'inquiète, on pourrait en discuter tranquillement le soir-même si je ne m'étais pas endormi quelque part dans l'appartement à cause de ces médicaments. « Exact, elle a assez à gérer pour que je la stresse, et vu son état, il vaut mieux qu'elle ne le sache pas jusqu'à ce soir. Pareil pour papa : je ne veux pas le voir débarquer à mon appartement en croyant que je suis en miettes, tu sais comment il est : rappelle-toi quand Carrie était tombée de la balançoire quand elle était petite et qu'il voulait carrément appeler les pompiers alors qu'elle saignait juste du nez... avant de tourner de l'œil. » Je rigolais légèrement en repensant à cette anecdote. J'adorais mon père mais je savais qu'il serait complétement paniqué à l'idée de me voir avec les deux plâtres.